« POUVOIR et TÉLÉVISION » est une série documentaire particulièrement intéressante parce qu’elle traite des rapports incestueux entre la télévision et les pouvoirs… Il faut donc absolument la voir ne serait-ce que pour comprendre comme on est passé de l’ORTF aux ordres à la télé poubelle.
Les extraits suivants en disent long sur ce que sont les médias en France aujourd’hui :
Paul Amar (à propos de l’état de grâce médiatique d’Édouard Balladur en 1994) :
« Je pense que là il y a un homme qui a joué un rôle considérable, considérable, c’est son génie. Il faut qu’il fasse attention d’ailleurs, ce génie peut se retourner contre lui ; c’est Nicolas Sarkozy ; qui avait eu le génie de faire croire à tout Paris, donc au tout Paris politique, journalistes compris, que Balladur était élu, avant l’élection. […] Et le Tout-Paris a fini par y croire ! »
Et Philippe Meyer d’enfoncer le clou avec humour :
« Et puis, là encore, les vieux démons français du rapport incestueux avec le pouvoir s’y mettent. On peut aussi bien citer l’exemple de Claire Chazal avec son livre sur Balladur qui arrivera juste avant l’élection présidentielle de 95, qui est un livre qu’il faut relire ! Absolument ! Il faut le relire ! Parce que c’est un remède contre la mélancolie… Écrire un livre hagiographique, à ce point lourdingue, au moment même où tous les sondages, toute l’opinion est prête à parier sa chemise et sa culotte que ce sera Balladur qui sera président de la République, normalement, dans n’importe quel pays européen ou au moins comparable […] ça vous conduit à disparaître dans l’éclat de rire général ; ben en France ça vous conduit à devenir une institution. »
Entre le spectacle et le vrai débat politique, Ruth Elkrief peut légitimement nous résumer la situation lorsqu’elle évoque avec émotion le travail de Michel Drucker par rapport au sien :
Ruth Elkrief :
« Je regardais son travail, qui est un vrai travail, qui est un gros travail, c’est enregistré, c’est monté, il y a beaucoup d’invités, il y a beaucoup de travail en amont… Et je regardais notre travail ; c’était une petite équipe, on se défonçait aussi, et en même temps on faisait du journalisme et eux, ils faisaient de l’animation et donc le problème c’est qu’on nous comparait, point par point, et je dirais, point d’audimat par point d’audimat hélas pour nous. C’est ça le problème ! […] Mais cette bataille, je l’ai menée je vais vous dire, comme la chèvre de Monsieur Seguin, je l’ai perdue. J’étais la dernière, maintenant elle est perdue, il n’y a plus, à mon avis, ou très peu, sauf les présentateurs du 20 heures quand ils font leur job, il n’y a plus de journalistes à la télévision. Il y a des émissions de télévision, un peu spectacle, un peu rigolote, parfois avec des moments de vérité, parfois avec des moments de connivence terrible, c’est autre chose… »
Drucker peut désormais recevoir son ami Nicolas Sarkozy, dont je ne sais pas s’il sera le prochain président de la République, mais qui a déjà pour lui les médias de Bouygues, de Lagardère, de Dassault (et quasiment du service public), etc.
Vous voilà, une fois de plus, prévenus…
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Pour conclure cette série documentaire, c’est le sujet des « médias de la haine » de la campagne présidentielle de 2002 :
Patrick Poivre d’Arvor :
« Et les gens étaient très durs là-dessus, ils nous adressaient de très nombreux courriers, je me souviens très bien, avec des petites coupures de presse venant de la province, venant de journaux régionaux… Qui disaient ah ben ça évidemment, vous, vous n’allez pas en parler sur TF1 ; ils devaient certainement envoyer le même courrier sur la 2. Et moi je me suis dit, mais au fond… Au début je me suis dit c’est peut-être une manipulation, c’est peut-être le Front National qui essaie de rameuter ses différents adhérents de cette manière, et je me suis aperçu que c’est des gens qui disaient ça spontanément. Donc j’ai parlé un peu plus souvent de ces problèmes-là. »
Amis d’ACRIMED, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour que TF1 parle du fond…
Désolé d’être cynique, mais c’est quand même ahurissant d’entendre cette pâle justification.
Gérard Leclerc :
« Là aussi, c’est le phénomène des médias : tout le monde se lit, tout le monde s’écoute, tout le monde se regarde et donc il y a eu cette espèce d’emballement, de tous les médias, et en particulier de la télévision, mais il n’y avait pas que nous, je crois que les autres aussi en parlaient beaucoup. Et donc c’est vrai que petit à petit ça a pris une place de plus en plus grande »
Et bôôô, le suivisme :
Gérard Leclerc :
« Je me souviens une fois il y a avait eu une conférence, où donc chaque service, chaque département dit ce qu’il y a dans l’actualité, la politique, l‘étranger, la société, etc. et puis à la fin, le rédacteur en chef dit : mais il n’y a pas de sujet sur l’insécurité ? On dit : ben oui, y’a pas de sujet aujourd’hui ; et il dit : ben eh non, c’est la question du moment il faut qu’on traite l’insécurité. »
Patrick Poivre d’Arvor :
« Mis à part le fait, je l’avais dit en conférence de rédaction, que je trouvais que le dimanche, le samedi et le dimanche, l’affaire de papy Voise c’était trop, ça, c’était mon jugement. Mis à part ça fait là, je n’ai pas trouvé de malhonnêteté de la part de tel ou tel média sur ce sujet. »
Il y a de quoi devenir aphone…
Alain Duhamel :
« Dans cette campagne en particulier, mais dans les campagnes présidentielles en général, ce qui compte dans la prise de décision électorale des Français […] c’est le climat sociétal qu’il y a à la télévision, qui est hypertrophié, intensifié par la télévision, cristallisé ; et que c’est lui qui joue le rôle. Qu’au fond ce qui est important pour le vote c’est la façon dont on va parler ici de licenciements, là d’un crime crapuleux, ou ailleurs de je ne sais pas quoi dans un établissement scolaire… C’est ça qui influence ! »
Et si Patrick Poivre d’Arvor trouvait que c’était « trop » c’est sans doute qu’il y en avait anormalement déjà trop, qu’il savait aussi que c’était ça qui influence et que c’était ça qui était exactement en train se produire.
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C’est un documentaire intéressant, mais je regrette aussi que l’on ne s’attarde pas sur le sujet de La Cinq ! Dans le genre berlusconien, ça valait son pesant de cacahuètes…
Je suis sûr aussi que les étudiants gabonais, enfin, ceux qui ont survécu, se souviennent encore des journalistes de La Cinq ! Mais c’est un autre sujet… Peut-être un jour, dans un autre documentaire ?
En tout cas, ne ratez pas une éventuelle rediffusion de cette série :
« POUVOIR et TÉLÉVISION » une série documentaire en trois épisodes de Bertrand Delais et Stéphanie Malphettes, réalisée en 2005, coproduite par CAPA et INA Entreprise avec la participation de France 5.
(26/04/2006)
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Archives :
MPEG2 SD 1,5 Go x3, enregistrées sur France 5, le 18/02, le 25/02, le 03/03 et le 10/3 2006