La petite bête qui monte…

Quand j’étais étudiant à l’école d’architecture de Montpellier, notre professeur d’urbanisme, sur le point de prendre sa retraite, décida de présenter les quelques étudiants de son atelier, à son ancien professeur, le premier adjoint de Georges Frêche, chargé de l’urbanisme de la ville de Montpellier.

Notre professeur, sans doute soucieux de se ménager les bonnes grâces de ces deux hommes puissants dans la région, avait donc organisé une sorte de rencontre en petit comité, informelle, avec cet homme présenté comme vénérable et qui allait nous entrouvrir les portes du décisionnel sur l’urbanisme de Montpellier.

Le premier adjoint en question, grand seigneur, nous convia à discuter dans la salle du conseil de la mairie de Montpellier.

La rencontre avait tourné à un grand discours lénifiant sur le pouvoir de ce binôme. Je me souviens avoir pensé très fort au jeu SimCity…

Ce dont je me souviens le plus, c’est surtout un discours stupéfiant sur la gestion et les attributions des concours pour les grands projets d’aménagements de la ville : « c’est moi qui décide si c’est untel ou untel et c’est décidé à l’avance ». Le choix de résolument faire partir les classes populaires de la ville pour les remplacer par des classes moyennes ou supérieures avec des étudiants issus de milieux aisés, des chercheurs, des professions libérales ; un discours totalement insupportable de « retour sur investissement » dans les programmes de constructions de logement sociaux etc. Toutes choses qui ne me paraissaient pas tout à fait correspondre à la couleur politique portée.

C’était surréaliste, comme si on nous avait pris à part pour nous faire comprendre de ne pas cracher dans la soupe, on pourrait peut-être à l’avenir y manger.

Passant outre la réserve souhaitée par mon professeur d’urbanisme, j’avais eu une discussion assez vive avec cet homme, dénonçant une attitude antidémocratique, un élu devant selon moi proposer des choix de société et d’aménagement urbains plutôt que de les imposer d’en haut. Outre le fait que je ne faisais pas partie de la population qu’il souhaitait conserver dans « sa » ville (en bref, je pouvais partir vu que mon discours était « très intéressant »), le premier adjoint m’expliqua que si on disait aux électeurs ce qu’on avait réellement l’intention de faire et comment on allait le faire, on ne serait jamais élu et que la population ne pouvait pas y voir assez clair pour cela.

À l’époque, je ne sais pas si c’est toujours le cas aujourd’hui, la majeure partie des étudiants de l’EALR* était plutôt hostile aux prises de position urbanistiques et architecturales de l’équipe municipale. Non pas que ces étudiants fussent opposés à la couleur politique de ladite équipe, prétendument de gauche, mais plutôt que le développement urbain, les projets et de manière plus générale la politique de la ville en matière sociale et environnementale soulevait alors des débats houleux dans les ateliers et les cours de l’EALR.

Antigone, le Corum, parcs à thèmes, les logements sociaux, la politique sociale, l’abandon de certains quartiers, le déplacement du centre-ville avec l’évitement de la question du « ventre mou » (le nord-ouest de la ville), mais également des choix emblématiques comme la décharge près de Palavas, le glissement en ghetto du Petit Bar, les copinages avec Nicolin…

Tout cela faisait qu’il y avait une tension réelle entre la municipalité et une partie importante de l’École.

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Pendant des années, le « peuple de gauche » de la ville, comme de la région (la Septimanie, n’est-ce pas), s’est senti floué par le PS qui, en adoubant son très controversé Georges Frêche systématiquement pris en triangulaire, l’obligeait à voter utile, alors que les valeurs qu’il mettait concrètement à l’oeuvre étaient plutôt vécues par ce peuple-là comme des trahisons.

Oui, pendant des années, nous avons voté Frêche, non pas pour lui, pour ses programmes ou ses valeurs, mais pour éviter d’avoir le retour d’une droite radicale à la municipalité, ou comme député, et plus tard pour tenter de faire barrage à Blanc et ses alliances comme président de région.

Autant dire que pour les gens de gauche, le PS en Languedoc Roussillon les a fait longtemps voter à reculons.

Aussi, quel soulagement d’entendre enfin dans les médias les insanités et les méthodes oratoires que bien des Montpelliérains ont eu à entendre et à subir durant des décennies.

Soulagement, oui, pour deux raisons :

La première, c’est que localement, c’est un secret de polichinelle que la façon dont Georges Frêche à toujours fait taire ses contradicteurs, que ce soit dans les réunions du conseil municipal ou dans les réunions publiques de quartier. Il fallait être un orateur solide et particulièrement réactif (oserais-je dire, « burné ») pour ne pas se faire écraser sous ses diatribes. Les gens se faisant systématiquement rabrouer, rabattre et finalement écraser par une verve véhémente indigne d’un dialogue élu/administré (sauf en présence de caméras).

C’est heureux qu’enfin, le masque tombe.

La seconde, c’est que le PS, malgré le 21 avril, malgré les législatives de 2002, n’a toujours pas compris que le peuple de gauche ne lui fait pas confiance, et que si les régions sont aujourd’hui à gauche, c’est à cause d’un ras-le-bol de la droite, pas à cause du programme du PS et des actes de ses représentants !

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Le PS n’a toujours pas de programme de gauche et, après le malheureux spectacle de fausses primaires opposant une femme de droite, un social-démocrate favorable à la défiscalisation des stocks options et un opportuniste se refaisant une virginité socialiste, il aura sans doute un candidat qui pourra éventuellement rassembler ses militants, mais certainement pas le peuple de gauche qui justement, n’a toujours pas digéré les compromissions qui lui ont fait voter utile depuis tant d’années.

C’est d’autant plus grave que le troisième homme lui, compte ses voix.

Oui, pendant que le PS continue sa crise autistique et médiatique, l’UMP se déchire tandis que l’UDF tente de racler au centre (comme à chaque veille d’élections, pour finalement voter utile à droite à la dernière minute).

Tout comme le PS à perdu son peuple qui continue de se chercher entre Via Campesina, la LCR, les collectifs du 29 mai, etc. l’UMP à perdu son électorat populaire, c’est-à-dire sa masse critique.

Pendant trente ans, cet électorat a absorbé le discours du trop d’état, des fonctionnaires payés à rien foutre, des postiers/profs/cheminots toujours en grève pour défendre des acquis indécents… Discours soigneusement rabâché par le RPR devenu UMP, via des médias privatisés et diffusant un vomi poujadiste, réactionnaire et antirépublicain. Oui, ces hommes et ces femmes de droites, majoritairement ruraux, ont fini par croire qu’en sciant la branche sur laquelle ils étaient assis, ils allaient enfin pouvoir redresser la tête.

Or, que voient-ils ?

Les services publics peu à peu libéralisés par le PS et privatisés au pas de charge par l’UMP disparaissent, fragilisant de manière insoutenable le monde rural : bureaux de poste qui disparaissent, centres hospitaliers s’éloignant à 2, 3 voir 4 heures de route selon les conditions météo, etc. Malgré le soutien de leurs parents agriculteurs, indépendants et artisans leurs enfants se retrouvent de plus en plus précaires, tandis qu’eux se retrouvent sous tensions fiscales et en concurrence européenne alors que « les gros eux se voient attribuer des marchés, des ristournes, des cadeaux fiscaux, des ententes »… Les cotisations ne baissent pas pour toutes ces petites PME qui pourtant, produisent une grande partie de la richesse de ce pays.

Ces hommes et ces femmes de droite sont aujourd’hui en contradiction directe avec les actes de ceux qu’ils ont élus. Les députés UMP ont de plus en plus de mal à gérer et à tenir face à un terrain qui leur demande des comptes : on vous à pas demandé de désertifier les campagnes, on ne vous a pas demandé de faire un hôpital de riche pour vous et un hôpital de pauvre pour nous, où est l’ordre, pourquoi vos amis se servent-ils toujours autant, la vie est de plus en plus chère, etc.

Oui, ce peuple de droite se sent lui aussi trahi par le parti auquel il croit de moins en moins à cause des affaires, des arrangements électoralistes, avec un sentiment de plus en plus présent de « tous pourris ».

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Et Nicolas Sarkozy aura beau faire le coup du coup-de-poing sur la table face à des jeunes, ou le coup du travailler plus pour gagner plus (comme si eux ne bossaient pas assez) avec un discours réactionnaire pour essayer de recoller avec un électorat persuadé que les banlieues crament parce que le treize heures le montre, son peuple à lui se barre chez Jean-Marie.

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Le malaise est d’ailleurs palpable à l’UMP quand on essaye de redonner une fausse image de protection sociale et de défense d’un service public à minima, de défense de la ruralité, à un programme résolument libéral qui fera des campagnes des déserts abandonnés d’une république de précaires et de sous traitants inféodés aux grands groupes

Le PS et l’UMP font la campagne de Jean-Marie…

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* EALR : École d’Architecture Languedoc-Roussillon.