de la construction en terre…

En guise de participation à un débat qui s’agite sur un “réseau social” connu :

1 – Les Guides de Bonnes Pratiques ont été écrits par des pros, pour des pros. Pas par des chercheurs et des gens qui passent leur temps dans les labos ou qui font des expérimentations sous couvert de “formations” qu’ils appellent “professionnelles”.

2 – Il faut évidement de tout : Des labos, des écoles etc. et des associations de pros, et des fédérations de pros (artisans notamment) et pour ce qui est des écoles, je reviens plus loin sur le sujet des “Grandes Écoles” dont font partie les Écoles d’architecture…

Le “différent” historique entre les labos/écoles “historiques” qui ont pignon sur rue et revendiquent d’être “les spécialistes mondiaux” de la terre d’un côté, et des groupes et associations de professionnels, c’est qu’avec toutes les aides, subventions, projets etc. que les premiers ont pu recueillir auprès des institutions publiques depuis des décennies (on peut donc vraisemblablement compter en millions d’euros collectés et mis dans la recherche etc.), la terre, et même la chaux qui est sa grande copine, ne sont toujours pas revenues dans les formations pro (CAP, BEP, Bac pro etc.) courantes, d’où les horreurs que l’on continue de voir quotidiennement produites par des maçons pourtant patentés :

16 août 2020 : Une “rénovation” d’un bâtiment pisé avec tout le “savoir-faire” du maçon contemporain…


Malgré tous ces millions d’euros durant toutes ces décennies, pas de démarche réellement pro-active d’information claire auprès des maîtres d’ouvrage publics, privés, pas de changement dans les formations de base, pas de réglementation adaptée… Des colloques internationaux, des beaux livres, donc, certains très bien fait et intéressants, mais au final, aucun impact, même pas auprès des professionnels concernés !
Peut-être faudrait-il enfin flécher tous ces sous, non plus dans de nouvelles “recherche-actions”, mais dans du concret : de la formation de pros, et dans de l’action directe auprès des maîtres d’ouvrage pour leur signifier la destruction de leur patrimoine, par des gens incompétents.

Donc il faut de tout, oui bien sûr, mais il faut quand même remettre “l’église au milieu du village”* : pour bien construire, il faut avoir été bien formé, à l’école et sur le terrain, pour que l‘intelligence de l’humain se traduise, et se nourrisse en retour, de l’intelligence de la main, des gestes… Ce que la production industrielle ne veut pas ! Et il y a là, l’autre nœud qui déchire des acteurs dont on pourrait légitimement croire qu’ils défendent les mêmes valeursRien n’est moins En est-on bien sûr ?

C’est ici que la question de l’intensité sociale, dans la production du cadre bâti de notre Cité, de la Cité que nous voulons, est primordiale : L’industrie veut des applicateurs de solutions toutes faites, dans des processus où la valeur ajoutée est captée par l’industriel au détriment de tous les autres acteurs de la chaîne de valeur (de la maîtrise d’ouvrage à la maîtrise d’œuvre, et la mise en œuvre), avec en bout de course des applicateurs sous-traitants payés au lance pierre, embauchés à la journée. C’est la réalité du monde du bâtiment aujourd’hui, la formation pro (des archis comme des ingénieurs comme celles applicateurs finaux) a été complètement façonnée par cette approche industrielle. On voit le résultat : des productions du bâti de pire en pire, de moins en moins d’emplois, de moins en moins de candidats à ces métiers (je fais référence à l’absence de candidats pour le conventionnel, car dans l’écologique, on croule sous les candidatures, y compris pour être simple maçon).

Cette tendance industrielle s’accélère (BIM, 5G, “smart building” etc.) alors qu’on ne sait même pas réparer un mur en terre ou assurer un étanchéité à l’air correcte.
C’est la fuite en avant technico-scientifico-numérique alors que les savoir faire et les gestes de base ne sont même plus enseignés (à part quelques centre de formation qui résistent) car ils sont considéré par l’industrie comme d’aucune valeur, ou plus exactement, l’industrie veut s’accaparer toute la valeur ajoutée…

Oui, on ne vend plus du m2 habitable pour vivre et répondre à des besoins : on fait juste tourner une machine qui doit rembourser les emprunts et les intérêts des investissements colossaux réalisés par une industrie à forte intensité capitalistique, des actionnaires à rémunérer coûte que coûte… La production du cadre bâti est l’industrie qui, par la spéculation foncière et immobilière et le crédit, à donné l’illusion que l’économie fonctionnait alors que la France se désindustrialisait. Car même les produits industrialisés du bâtiment font le tour de la planète…

Appliquer des produits industriels, production du futur “patrimoine” ?


Que voulez-vous ? On forme de plus en plus de cadres, de managers, dans une économie tertiaire dite de la “très haute valeur ajoutée”, mais c’est une une illusion, un mythe : nous n’avons jamais consommé autant de ressources, et nous sommes obligés de trouver des emplois à tous ces gens très importants formés dans des grandes écoles, qu’il faut payer très cher parce qu’ils ont fait de grandes études et qu’ils sont très intelligents : la chaîne de valeur industrialisée est faite pour ça, elle fait la part belle aux cadres de la finance, de la production industrielle, aux managers, aux chefs de projets, en couches successives qui vivent de la marge sur les produits industriels importés, couches qui s’accumulent au dessus de ceux qui, en bas, précarisés et mal payés, produisent de leur mains ce cadre de vie matériel sans lequel tous ces gens si importants ne pourrait survivre.

Ce modèle d’une société tertiaire et industrialisée s’applique à tout : alimentation, construction, aménagement, biens matériels, logistique. Tout y est devenu “exploitation” (agricole, des ressources), création de valeur (c’est à dire captation de la richesse produite par le vrai travail des petites mains en bas de l’échelle).
Tout cela pour le bien être de tous ces êtres supérieurs qui n’ont qu’a appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, ouvrir un robinet pour avoir de l’eau potable et chaude, descendre à l’épicerie du coin pour acheter des denrées “bios” à loisir, tirer la chasse pour faire disparaître leurs déchets. Cette société élitiste qui fait vivre un proportion grandissante de non productifs sur le dos de producteurs déconsidérés, précarisés, mal payés, est un mythe qui s’auto reproduit dans ses “Grandes Écoles”.

Extrait d’une conférence sur les ressources à la Maison de l’écologie



Elle est insoutenable car elle repose sur trop d’esclaves : esclaves humains loin des yeux de ces urbains (pas même bourgeois car même les pauvres sont pris dans ce système dévalorisant au travers de la consommation de produits industriels vendus à crédit), et aussi beaucoup d’esclaves énergétiques (une société dopée à l’énergie fossile qui s’épuisera de toutes façon)… Sans parler de l’épuisement des ressources, de l’effondrement de la biodiversité. Bref, insoutenable.

Extrait d’une conférence sur la Cité que nous voulons lors du 3e “Cycle Effondré”.


Je ne vais pas ici redire ce que je dis dans mes cours et dans mes conférences, si cela vous intéresse, je peux développer tous ces sujets IRL ! (In Real Life : dans la vraie vie)


Je reviens à notre point de départ : la construction en terre !

Certains veulent accompagner cette industrialisation, d’autres la contrer (pour les plus motivés), d’autres en sortir en parallèle par le terrain…
Choisir l’un ou l’autre, c’est faire un choix politique fondamental et qui doit être assumé : voulons-nous une Cité où chacune et chacun peut avoir sa place, vivre dignement.

3 – Enfin, je me refuse à nourrir la bête, et je tiens ici à faire part de ma consternation de voir tout ce débat sur ce réseau dit “social” qui est l’aboutissement de cette logique de désincarnation et de l’industrialisation de la pensée, déni de notre habilité à débattre de la fabrique de la Cité, alors que nos structures associatives et professionnelles manquent d’humains : dans leurs réunions de travail, dans les CAs des associations, dans les adhésions aux associations, dans les formations de celles et ceux qui veulent apprendre à refaire avec intelligence et discernement…

Facebook et tous ces outils “gratuits” sont devenus comme “indispensables” : il faudrait y être, il faudrait y débattre… Bref, l’industrie gagne quand on est obligé de passer par elle ! La révolution ne passera pas à la télévision ! La fin justifie-t-elle les moyens ?

Pour ma part, ma position sur ce sujet est simple : On ne fait pas de la permaculture avec des OGMs ! Au moins, venez débattre sur des outils libres !

Rejoignez les associations et les fédérations de pros si vous avez des choses à dire sur le sujet !


* C’est une expression, pas le reflet ici d’une appartenance ou d’une revendication religieuse.

NB : édité le 28/10 pour reformuler un passage qui pouvait créer de la polémique inutile.

3 réflexions sur « de la construction en terre… »

  1. Ne pas s’adapter au modèle néo libéral ni aux fractures disruptives qui nous intiment de nous consacrer aux performances,au prestige et à l’exception de “distinction” plutôt que de repopulariser la terre crue et ses pertinence s situées et mimétiques….

  2. @Andreas Krewet et @Patrice Doat.
    Moi qui apprécie beaucoup votre travail, le travail de Craterre et d’Asterre, je suis consterné par la hauteur du débat:
    Expliquer, mettre des mots librement sur les raisons d’un conflit historique ne vise pas à maintenir ou vouloir exacerber ce conflit. Quand on veut soigner -ou intervenir sur un bâtiment-, on doit commencer par un bon diagnostic. C’est un mauvais procès que de balayer ce débat essentiel en disant qu’il ne serait que la conséquence de luttes intestines entre vieux croutons aigris ! C’est plutôt insultant en fait. C’est même là est une contre-vérité, la création de la CCTC en est la preuve, donc là, c’est vous qui alimentez le différent en utilisant des arguments fallacieux. D’autant que vous êtes vous-même partie prenante de ce vieux débat – CQFD.

    Oui, la question est politique dans son sens noble : il s’agit pour la construction terre d’un projet économique, social et environnemental via la production du cadre bâti, à l’instar de l’agriculture biologique et en circuit court. En somme, revalorisation des métiers et des savoir-faire sur toute la chaîne de valeur, ou captation de la valeur par des industriels qui vont faire circuler des toupies de terre qui sera coulée par des ouvriers précarisés du bâtiment. La toupie de terre est certes une image caricaturale comme les “big bags de terre” oui, mais on sait que c’est aussi comme ça que cela fonctionne aujourd’hui dans le bâtiment, doit-on faire comme si on l’ignorait ?…
    L’industrie se préoccupe du “bas carbone”, parce qu’elle flippe avec l’arrivée de la RE2020, on est en droit d’exiger qu’elle utilise en plus des GES d’autres indicateurs pour remettre de l’intelligence et du savoir-faire dans des métiers, donc qu’elle les revalorise aussi (architectes, maîtres d’œuvre, artisans, sous-traitants, ouvriers).

    Cela fait plus de dix ans, que dans des écoles, y compris d’architecture, dans des centres de formation, je vois des jeunes (comme des pros expérimentés de toute la chaîne de valeur du bâtiment) fatigués, désemparés et démoralisés par la façon dont le bâtiment actuel fonctionne, totalement contrôlé par des industriels. Et quand on leur propose, on les forme, on remet dans leurs mains et dans leurs tête des savoir-faire et des compétences, pour utiliser des matériaux nobles comme des fibres végétales, du bois et de la terre, ils redeviennent enthousiastes, se forment, s’informent, s’engagent car cela fait sens !
    La quête de sens dans son métier, dans son activité professionnelle est par définition une question politique : “politique” n’est pas un gros mot : on parle là de la Polis, de la vie de la Cité. À l’heure où l’effondrement se révèle aux yeux de toutes et de tous, tous ces “jeunes” dont vous parlez veulent agir, donner du sens, construire autrement car ils veulent un autre modèle économique, social et environnemental. Vous ne pouvez pas balayer ça d’un revers de la main en disant “ce n’est pas sérieux, c’est une querelle de vieux”.

    Alors, je le redis ici : il ne faut pas opposer, il faut comprendre et co-construire, et la CCTC est là aussi pour cela.

    Mais pour que cela marche, tous les acteurs autour de la table doivent être honnêtes et jouer franc-jeu, donc certains ne doivent pas se considérer comme les seuls sachant qui ont la bonne réponse, parce qu’ils auraient mieux compris que les autres.
    Si les pros de la terre n’avaient pas voulu des Règles Pro, auparavant, ils avaient leurs raisons, que vous pouvez contester, mais c’était leur choix. Or, il y a quelques mois, on a vu être annoncé par les Éditions du Moniteur” un livre intitulé “Règles pros… construction terre” qu’une très grande majorité de professionnels de la terre crue de toute la France, pourtant actifs dans leurs régions respectives, travaillant sur les Guides de Bonnes Pratiques, impliqués dans des réunions techniques avec des instances nationales comme la C2P, et parties prenantes de la CCTC… Tous sont tombés de leur chaise : d’où sortaient ces Règles Pros ?
    Pas des professionnels, en tout cas, pas d’un consensus des professionnels. Et en voulant forcer la main de ces professionnels, vous avez pris le risque de remettre de l’huile sur un feu qui s’éteignait pourtant doucement… La structure qui a rédigé et porté ces “Règles pro” que s’apprêtait à publier les Éditions du Moniteur, à l’insu des professionnels donc, sans consensus, sans co-construction avec la majorité des acteurs, n’a fait que montrer une chose : cette structure s’estime la seule légitime pour dire ce qui doit être fait, ou pas. Est-ce comme cela que les professionnels de la terre vont avancer ?

    Nous savons bien que non, alors, merci de calmer les choses au lieu de les envenimer au travers d’un faux débat.

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