Depuis le 1er tour, comme à chaque élection, on assiste à un déversement de mépris pour les électeurs du FN. Le Parti de la Presse et de l’Argent est parti en campagne contre le Front National, enfonçant le clou qui les a jusque là disqualifiés aux yeux de ces électeurs… Depuis que je vis en France, je suis consterné par cette façon de faire de la politique, lorsque des millions de gens se reconnaissent dans un parti, dans une proposition, et que l’on n’est pas d’accord, on argumente, on essaye de comprendre, on propose…
Non ?
Et nous voilà de nouveau, sommés de sauver la Démocratie… La quoi ?
À chaque fois que les partis traditionnels sont en difficultés du fait de leurs incuries, nous avons droit aux mêmes injonctions, pour lutter contre la « montée » du Front National… Encore ? Mais qui fait « monter » le Front National ?
Être de gauche, c’est considérer que chacun doit trouver sa place et que la richesse créée doit être répartie de manière équitable, que l’humain doit être libre.
Être de droite, c’est considérer que chacun doit trouver sa place et contribuer à la création de richesses au profit de quelques-uns, que l’humain doit se soumettre.
Avant, le FN était donc d’extrême droite. Les anciens caciques du FN dénonçaient l’interventionnisme de l’État, les taxes, les impôts, les dispositifs de soutient aux improductifs et aux « malades » (SIDA, homosexuel, etc.) et, avec la décolonisation et l’amertume de la perte de l’Empire, l’immigration.
Depuis la décolonisation et la fin des trente glorieuses, le FN dénonce la présence de la population immigrée originaire d’Afrique du Nord venue construire la France pendant les trente glorieuses, et exige la fin du droit du sol pour que leurs enfants vus comme non « intégrables » ne puissent pas être français.
Face à cette inquiétude, les autres partis se sont bouché le nez en niant une réalité objective : les immigrés d’Afrique du Nord ne sont pas « rentrés chez eux » et ont fait des enfants qui sont devenus de fait, des Français.
Les partis de gauche et de droite (PS, RPR, UDF, UMP etc.) se sont bouché le nez en méprisant ces préoccupations, en niant la panne de l’ascenseur social, en niant l’aggravation des inégalités, en faisant toujours semblant de traiter les conséquences sans jamais traiter les causes… Et en minimisant le fait que les enfants des premières générations, rejetés et laissés dans des ghettos, se sont tournés vers d’autres formes d’identification et de cohésion en refusant de se taire contrairement à leurs parents: revendications sociales, parfois violentes, communautarismes, parfois radicaux, adoption d’un islam wahhabite par certains comme moyen de reprendre en main un destin, trop contents de trouver des exutoires à des situations injustes qu’ils font leurs.
Dans une société désormais habitée par l’individualisme le consumérisme, qui frise le nihilisme, même pour les enfants des « Gaulois », le système libéral a détruit la cohésion territoriale et cassé l’ascenseur social laissant ainsi se développer un terreau fertile à la rancœur et à l’amertume.
Les élites de ces partis désormais amalgamés dans le même sac, car défendant finalement les mêmes valeurs, flirtant avec, ou possédant les médias, ont renforcé la stigmatisation de ceux qui questionnent, d’un côté le libéralisme et ses conséquences (sociales et environnementales) et de l’autre, les inquiétudes soulevées par l’augmentation de la part de français d’origine maghrébine et les revendications de certains d’entre eux, utilisant une forme radicale de confession musulmane comme moyen de cohésion et de reconnaissance faute de faire parti de la société française et le renforcement de communautarisme faute d’autres perspectives.
Ainsi, avec la mondialisation et son dumping social (on sera toujours plus cher qu’un ouvrier de Chine ou qu’un ingénieur Indien), et l’ultralibéralisme des classes dirigeantes des partis traditionnels, le FN a su faire sien d’un côté la dénonciation des classes privilégiées et des élites intellectuelles qui se sont révélées incapables d’adapter nos modèles économiques et nos systèmes de protection pour que chacun trouve sa place dans une société.
Face à l’injonction faite à tous ceux qui s’inquiètent de la croissance de la présence de l’Islam, de se taire, par l’ensemble des médias et des élites, le FN a récupéré les discours sur la laïcité alors qu’il défend fondamentalement le catholicisme, et a su au fil des années, attirer vers lui une grande partie des Français catholiques, en particulier les traditionalistes, grâce notamment à des personnalités comme Marion Maréchal Le Pen.
Depuis 1995, cette exaspération sociale s’est renforcée par l’incapacité des partis de gouvernement à recréer de la cohésion sociale et à résorber les revendications identitaires et les communautarismes. Ceci à permis de nourrir l’idée que d’une part, les intellectuels, les médias et les dirigeants actuels sont incapables d’entendre et de « protéger » les « vrais Français », et que d’autre part une 5e colonne de « faux Français » est désormais à l’œuvre, en voyant dans les attentats les prémices d’une guerre de civilisation qu’ils annoncent depuis des années… À tort ?
La question comme la réponse ne sont pas simples, mais la façon dont ce parti pose la question et y répond est simple à comprendre, et comme ceux qui sont en mesure d’y répondre de manière complexe et en tenant compte des enjeux longs, géopolitiques et historiques, ont depuis longtemps été discrédités par les médias et les partis traditionnels, laissant ainsi toute la place aux messages limpides du Front National.
Du coup, aujourd’hui, le FN, n’est plus « d’extrême droite », le FN est devenu, dans son discours, un parti National Socialiste qui défend une forme de solidarité sociale réservée aux « vrais Français ».
Et si son score augmente au fil des ans, c’est d’une part parce qu’une partie des déçus des autres partis soit s’abstiennent soit se tournent vers d’autres petites formations, et que d’autre part l’autre partie des déçus le rejoint dans l’espoir qu’il mette au pas les médias et les classes dirigeantes qui défendent un ultralibéralisme sans limites, et surtout qu’il mette au pas les immigrés et les musulmans.
La « réussite » du FN n’est que la manifestation de la faillite et des manipulations des autres propositions, des trahisons des valeurs soutenues depuis des décennies par les autres grandes formations. C’est la faillite d’une société sans valeurs humaines fortes, sans cohésion forte, sans projet, sans culture, sans avenir.…