Le cauchemar continu (e)

Souvenir du Cameroun…

C’était mon « nounours ». Il adorait me faire rigoler et me faire des chatouilles… On allait parfois passer le dimanche chez lui…

Un bon copain à mes parents. Je l’avais choisi être mon parrain, et celle qui me faisait des tartes tatins pour dessert (la femme du DG de la BICIC, pour être ma marraine « en or » (elle aimait bien les bijoux). À sept ans, j’ai voulu être baptisé, à Mvolié, par le père Veseval…

27 ans plus tard, je suis là à ressasser mes malaises, mes cauchemars, mon dégoût, le goût amer que me laissent une enfance et une adolescence privilégiées au milieu de la misère dont mes proches étaient les instruments. Je suis avide de lumière et je ne veux plus qu’une chose que le cauchemar africain s’arrête…

Depuis l’adolescence cette horreur me tourmente.

Je lis dans les dossiers noirs n° 14, « Le silence de la forêt, réseaux, mafias et filières bois au Cameroun » :

« Pris à part, Robert Coron est un vrai nounours. Forestier bourru et figure éminente de la communauté française expatriée de Yaoundé, membre influent du tout-puissant Groupement Interpatronal du Cameroun (GICAM) et parmi les critiques les plus féroces des détracteurs de l’industrie forestière.

[…] Aucune de ses propriétés n’est à plus d’une heure de conduite du port, et le salaire de base à la scierie n’excède pas 123 FCFA de l’heure.

[…] Les Français sont présents dans tous les réseaux et dans tous les rackets du pays. Mais si Rougier, Thanry, Bolloré, Pallisco et Coron sont aussi aptes que leurs connexions françaises à prendre des libertés graveleuses avec la loi, leur énorme machine de relations publiques — le gouvernement français — réussit généralement à garder les yeux braqués sur les énormités des Malaysiens, des Libanais ou des rusés Anglo-Saxons. »

C’est à hurler comme on peut être innocent au milieu de rapaces

à propos

Ce site a eu beaucoup de vie : depuis sa création en 2003, il a été hébergé à droite à gauche, auto-hébergé, puis sur worpress.org, et maintenant chez un hébergeur sérieux en dehors des deux zones réglementaires Étatsunienne et Européenne qui permettent de fouiner dans les échanges privés : infomaniak.ch

Pour toute question, écrivez à spagano[at]silva-rerum.net

Note : dans le cadre d’une “dégooglisation” d’Internet, j’ai entrepris un long et fastidieux travail de récupération de toutes mes publications sur les réseaux sociaux, pour les remettre ici, aussi, ce site est en constante évolution…

Qui ?

Compte tenu de l’environnement, je suis bien né. Je suis né au début des années 70, à l’hôpital central de Treicheville, à Abidjan. Enfant de blanc, j’ai eu la chance de vivre confortablement dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, et le Cameroun, où les écarts de niveaux de vie sont particulièrement indécents. J’ai aussi eu la chance de pouvoir me rendre aux États Unis, au Zaïre, me balader un peu en Europe…

Mon père, cadre dirigeant expatrié, a travaillé en Afrique pour de très grands groupes français et belge (il paraît que ce ne serait pas raisonnable de citer les noms, je dirais donc pour situer : pour des groupes qui produisent la « 33 Export » ou le Coca-Cola au Cameroun ; pour le propriétaire de concessions portuaires, de yacht et de jets privés qui se prêtent à certains présidents — ou encore pour le groupe qui produisait la Skol au Zaïre).

Au fur et à mesure de l’évolution de la « carrière » de mon père, j’ai eu l’occasion de voir et d’entendre des choses assez banales pour le petit milieu des « cadres dirigeants blancs » et leurs relations africaines, mais en même temps assez troublantes, si on replace les choses dans le contexte de ce que l’on appelle la « françafrique ».

La relative autonomie et la liberté de me déplacer hors des zones balisées pour les blancs, que mes parents m’ont laissée vers treize/quatorze ans, m’ont aussi amené à vivre des moments très riches en « enseignements », parfois humainement très durs, et de prendre conscience de ce que j’ai envie d’appeler, a posteriori, « l’histoire populaire de l’Afrique » (pour paraphraser Howard Zinn).

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Pas de copains à la maison.

Les relations politiques et d’affaires entre la France et l’Afrique, entre enfants de blancs, on n’en parlait pas, ou peu. Pour ma part, je ne parlais jamais de ça à personne, pas même à mes amis. Instinctivement, les enfants de blancs qui vivaient là au milieu de tout ça, qui voyaient, savaient un peu ou beaucoup, en tout cas, les enfants de ceux qui n’étaient pas des dirigeants appelés à prendre la suite de leurs parents, ne parlaient pas de cela.

Parce que ça ne les regardait pas, parce que cela n’avait pas de contour précis, ou parce qu’en face d’eux, ils ne savaient pas à qui ils pouvaient parler, ou poser des questions. La dernière fois que j’ai évoqué le sujet avec un de mes amis d’enfance, en Côte d’Ivoire, la conversation s’est arrêtée à quelque chose comme « les pieds dans du béton, dans la lagune ». Même s’il ne s’agissait pas de moi, j’ai fini mon cône de Ghanéenne, et me suis dit que le mieux c’était de se contenter de regarder discrètement sans poser de questions.

En tout cas, pour ce qui me concerne, la « recommandation » d’éviter certains sujets, hors du cadre strictement familial, était précise – et reste, du moins partiellement et aujourd’hui de mon propre chef — de mise.

En fait, je ne demandais jamais à mes amis ce que faisaient leurs parents, c’était trop compliqué (et ça me permettait de voir mon père s’énerver, car ça l’obligeait à se renseigner, à mobiliser les réseaux, pour savoir qui je fréquentais).

Sans doute pour éviter d’avoir à parler directement du vif du sujet, mon père plaisantait des bruits que l’on entendait parfois sur la ligne téléphonique, ou me sermonnait au second degré pour que je n’aborde pas certains sujets, même entre nous, notamment au téléphone. Ce n’était pas de la paranoïa, mes parents ayant réussi à me faire croire que c’était banal, normal, en somme, d’être sur écoute. Même quand nous étions en France ?

Du coup, je ne posais pas, ou peu, de questions. Et si je mesure tout ça aujourd’hui, avec certains souvenirs précis et des expériences marquantes, les pistes de ma mémoire sont suffisamment floues pour ne pas me risquer dans des explications détaillées : lorsque je demande à mon père des clés pour m’aider à tirer tous ces fils, je n’ai que très peu de réponses. Peut-être vaut-il mieux pour mes proches que je n’ai pas ces réponses ?

En revanche, quand je lis, quand j’écoute des émissions sur le sujet ou que je regarde des documentaires, des fils se dénouent et mes souvenirs se remettent parfois très brutalement en place… Il faut bien comprendre que ce qui peut être assez extraordinaire en France (corruption active, coups de force, affaires, trafics, disparitions) peut paraître tout à fait banal pour les Français vivant dans des pays comme le Cameroun, ou le Gabon, où les communautés « blanches » sont assez réduites et donc les choses deviennent rapidement des non-événements dont on ne parle pas.

Dans le salon, ou à la table de mes parents (comme chez certains de mes amis), dans les « clubs », mais aussi dans les rues et dans les bars, les boîtes la nuit, dans les hôtels, les aéroports, il m’est arrivé de croiser, et de rencontrer, des gens pas toujours très nets : ex-légionnaires reconvertis en porte-valise pour joaillier de la place Vendôme, ambassadeurs, dirigeants de groupes industriels, de banques, « hommes d’affaires », mercenaires et membres de services spéciaux (israéliens, français ou encore libyens), trafiquants de pierres précieuses (pour la joaillerie, mais surtout l’industrie) et de devises, expatriés banalisés pour opérations d’urgence discrètes…

Mais le quotidien, c’était surtout les « petites mains », les expatriés plus ou moins impliqués, certains défendant leur bifteck au nom des intérêts de la France, de leur entreprise, de leur villa quelque part sur la Côte d’Azur, ou des études de leurs enfants. De ces maillons qui assurent au quotidien « l’intendance » et le fonctionnement de cette françafrique…

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Adolescent, et compte tenu de l’ordre qui devait régner à la maison, j’écoutais discrètement, mais sommairement (même si plus tard j’ai réalisé sans grand succès quelques enregistrements) toutes ces conversations partielles et pour moi disparates.

À l’école, il n’était pas rare aussi d’avoir comme camarade de classe des enfants de dirigeants en fuite, de ministres, de généraux. Bien entendu, les enfants de ceux que j’aurais envie d’appeler les « vrais » dirigeants (familles de présidents, etc.), nous ne les croisions pas, ceux-ci étant plutôt scolarisés dans des écoles privées en Europe ou aux États-Unis.

Nombre de mes anciens camarades, avec lesquels du reste je n’ai quasiment plus aucun contact, ont pour certains pris la même voie que celle de leurs parents, tandis que les autres se sont « dilués » ; mais je m’étonne que même aujourd’hui, une sorte d’omertà règne…

Pourquoi Silva-Rerum ?

D’abord je ne compte pas noter ici que des choses sur l’Afrique. Par contre, la place que ce continent occupe dans ma vie risque de se retrouver dans mes notes…

Ici, ce n’est pas du journalisme, ce n’est pas un « témoignage », et si vous ne vous sentez pas concerné, si ça ne vous plaît pas, dites-vous que ces notes ne vous sont pas destinées, tout simplement, il vous suffit de fermer la fenêtre !

Si je couche quelques notes ici, c’est simplement pour joindre ma toute petite voix à celles de tous ceux qui aujourd’hui se servent d’internet, et des réseaux, pour simplement manifester qu’ils ne veulent plus continuer à reproduire et à cautionner toutes ces horreurs.

Je mets aussi ici des notes parce que j’espère que mes enfants les liront (ça m’oblige), et peut-être certains de mes anciens camarades. Cela leur donnera peut-être envie de faire de même.

De toute façon, aujourd’hui, je n’ai rien à « balancer ». D’abord, je ne sais rien :-/

Vous savez tout et si vous n’avez pas fait attention quand les informations sont passées, une recherche rapide sur un moteur de recherche vous permettra de trouver facilement…

Si vous voulez creuser, les ouvrages, les documents audiovisuels et les témoignages ne manquent pas pour tirer vos propres fils, et il suffit de réfléchir un peu, ne serait-ce que sur l’origine des matières premières industrielles et de l’énergie que nous utilisons quotidiennement pour commencer à comprendre…

I beg to differ.

Je n’étais que le « fils de », le fils de l’un de ces maillons… Et puis, je n’étais pas le seul. Je n’ai pas de légitimité particulière pour parler de tel ou tel sujet. Par contre j’ai une opinion, et face aux inepties et aux mensonges qui nous sont donnés de lire, de voir et d’entendre, je n’ai pas envie de détourner le regard.

Parce que la françafrique n’est qu’un des aspects, ou qu’une des conséquences de la façon dont nous, occidentaux, appréhendons le reste du monde : ressources, affaires, consommation. Si je n’ai pas de légitimité particulière à parler de la françafrique, j’ai mon libre arbitre, ce que j’ai vu et entendu sur place, et les connexions que tout un chacun peut faire en regardant les noms des groupes de presse ici et les entreprises qui opèrent en Afrique, par exemple.

Cette façon d’être attentif ou vigilant ne doit pas d’ailleurs s’appliquer qu’à la françafrique…

Français, j’ai toujours eu honte, mal à ce que l’on disait être mon pays quand j’étais en Afrique…

Ceux de mes concitoyens qui vivaient leur « exil » à l’étranger, « loin de leur patrie », m’ont souvent fait honte. Les « bleu blanc rouge », jusqu’au fond de la culotte, « toubabs », petits blancs, sont, qu’ils le veuillent ou pas, des représentants de la France. Chacun de leur geste, de leurs propos et de leur attitude porte une lourde signification.

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Dans des pays où le blanc a si longtemps incarné (à tort ou à raison) le pouvoir, l’argent, l’espoir ou a contrario, l’ennemi, voire la haine, « notre » attitude et notre respect auraient dû être exemplaires. Chaque zone sombre que nous entretenons laisse en germe des générations d’incompréhension et de conflits.

Hors nous avons été, et nous sommes, dans la majorité, tout sauf exemplaires.

Il y a d’abord l’attitude de « petit blanc », que de nombreux Français ont lorsqu’ils sont en Afrique, sorte de pathétique nouveau riche néocolonial que procure le pouvoir d’embaucher du personnel à la maison (cuisinier, gardien, nounou) de vivre à l’étranger avec un niveau de vie plus élevé, d’une certaine façon, plus facile. Les « expats » sortent rapidement les lunettes de soleil et agissent comme en terrain conquis, adoptant cette attitude faussement décontractée d’éternels vacanciers hautains, gonflés d’ego, qui prend toute son ampleur dans les restos, les bars et les « clubs » (nautique, omnisports, pêche au gros, golf, tennis, etc.) où ils se répendent sur la difficulté de diriger leurs affaires et les gens du cru.

Ceux qui débarquent en Afrique trouvent vite leurs marques, où sont rapidement pris en main par un réseau local qui leur fournira « popote » (sorte de kit ménager qui circule entre les familles d’une société), bonnes adresses et bons conseils, notamment sur la façon d’embaucher et de traiter le personnel.

Mais aussi écœurante que l’attitude de certains puisse être, ce qui est le plus important c’est le fond, c’est le système flou, diffus, qui permet à ces blancs d’être dans cette position de « supériorité ».

Il n’y a, a priori, aucune raison pour s’inquiéter de la présence de français, ou de groupes industriels ou de service français en Afrique… A priori… Pourtant, il y a quand même souvent un très gros malaise.

Il ne fait aucun doute que la « mère patrie », la France, doit énormément de sa richesse et de son essor pré industriel et industriel à l’exploitation sans vergogne des ressources et des peuples africains. Cela s’est fait par des groupes de commerces, puis industriels et de services français libres d’organiser des réseaux parallèles où tout est permis.

Sur les dernières décennies, de Foccart à la Chiraquie, et de Pasqua à Miterrand, aujourd’hui de Sarkozy à Hollande, de nombreux réseaux de connivences politiques et d’affaires se disputent un marasme africain entretenu par la politique française, dont les dirigeants et leurs vassaux récupèrent une partie du gâteau. Ceux-là ne voient pas que ce marasme non seulement leur échappe progressivement, mais nourri une répulsion croissante envers les Français de la part des futures classes dirigeantes qui n’ont plus de complexes par rapport à la «France à papa», ayant fait leurs études dans le monde entier…

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Peut-être ne faut-il pas voir seulement dans la françafrique une entreprise véritablement organisée d’exploitation et de manipulation systématique, qui serait planifiée par des hommes politiques et des hommes d’affaires français corrompus, mais aussi une espèce de « Far-West », ou de terrain de jeux, où les affairistes de tous poils et les politiciens avaient le champ libre, avec la bénédiction de « papa », et tant que cela ne se voyait pas trop en France.

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Ce n’est qu’en venant vivre en France à l’âge de 17 ans, avec le choc que cela a produit, que j’ai réellement commencé à reconstruire et à prendre toute la mesure de ce que j’ai vu et entendu. Les chocs de mon enfance et de mon adolescence ont commencé à raisonner lourdement alors que je découvrais la société cynique et amnésique, consumériste et malhonnête, ignorante de son histoire, des origines des ressources qui ont fait sa richesse, et dont j’avais été le lointain enfant africain.

Liberté, égalité, fraternité

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Compte tenu du discours nostalgique pour la « mère patrie » que l’on m’a servi toute mon enfance, je m’attendais à trouver un pays ou la liberté, le dialogue, l’intelligence et le respect, avaient une place de choix

Le spectacle social, médiatique et politique a été édifiant : consumérisme effréné, basé sur l’exploitation d’autres peuples « loin des yeux », dont les minorités représentées sur le territoire sont stigmatisées et instrumentalisées, médisance, mensonges éhontés et omissions dans les médias, collusions et corruption, trafics, travail « au noir » et avec de véritables économies parallèles, médias racoleurs déversant un discours mensonger et partial visant à diviser et à faire régner une atmosphère malsaine et haineuse.

Tout ce que j’avais vu, lu et entendu que l’on me présentait avant comme pourrissant l’Afrique en somme, et dont ces « pauvres Français perdus à l’étranger » se gaussaient et ricanaient, se retrouvait là, dans cette société incapable si ce n’est de changer son comportement, au moins d’en assumer les choix et donc les conséquences. Une partie de cette France faisant semblant de ne pas savoir, et se permet même de faire la leçon à tous ceux qui ont le culot de la mettre face de ses contradictions, avec son oligarchie et ses castes prêtes à s’asseoir plus vite sur leurs principes, dès lors qu’il s’agit de « faire des affaires ».

Même si je me faisais peu d’illusions, j’espérais que pour avoir une relative autonomie et s’en sortir, il était aussi possible d’être simplement honnête et bosseur. C’est du moins le discours que tenaient les « anciens », ceux qui parlaient de morale, de travail, alors qu’une majorité d’entre eux ne cherchaient que la rente et la paresse de parasites jouisseurs. Non, dans ce pays des « droits de l’homme et du citoyen », il faut dans la plupart des cas être malin et ambitieux, et ne pas hésiter à jouer des influences pour écraser plutôt que construire. Amer constat.

En France, « on n’a pas de pétrole, mais on a des idées »

Ça paraît ahurissant et pour tout dire, ça m’a toujours mis hors de moi, de constater que des gens consomment quotidiennement des produits (voire basent tout leur modèle économique sur des ressources dont ils ne disposent pas) sans jamais se poser des questions (et donc encore moins chercher les réponses) comme la provenance et le parcours de tous ces produits. Je suis toujours passé pour un emmerdeur en demandant aux gens que je rencontre s’ils se posent ces questions, en faisant le lien entre leurs discours « tous pourris », « y’a plus de… » et leur propre attitude et choix de consommation.

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« Ta gueule », « il nous gonfle celui-là », « pour qui il se prend ?! »

Ça me consterne, voire me met fébrilement en colère, quand on nous ressert l’hypocrite tarte à la crème que cette France « d’en haut », celles des médias et des pouvoirs, met en avant pour détourner les regards, que l’on appelle la « dette de l’Afrique » :

Traite des esclaves, comptoirs coloniaux, répressions avant les « indépendances », essais nucléaires (et pas seulement nucléaires), soldats engagés dans les guerres, main-d’oeuvre industrielle ou ramasseurs de poubelles, or, argent, zinc, cobalt, cuivre, aluminium, uranium, diamants, bois exotiques, pétrole, gaz naturel ; et aujourd’hui privatisation des services de l’état au travers des P.A.S (Programmes d’Ajustement Structurels). Hier comme aujourd’hui des grands groupes français sont encore très présents en Afrique (et ce ne sont pas forcément les plus visibles qui ont le plus d’influence).

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Il faut vraiment avoir les doigts dans les yeux jusqu’aux coudes pour croire que l’Afrique « doit » encore quelque chose à la France… Ou être particulièrement cynique et hypocrite. Il me semble que la deuxième option est la bonne. Hypocrisie et duplicité sont les fils qui tissent l’histoire de notre belle France.

Chez nous, les politiques mettent l’accent sur la vision selon laquelle des hordes d’envahisseurs, tantôt miséreux, tantôt belliqueux, déferleraient « chez nous »… Comment se fait-il que des hommes et des femmes affrontent tant de souffrance, meurent gelés, noyés ou sous les balles, pendus à des barbelés, aux portes de l’Europe ?

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[ Nous avons chez nous des médias et des hommes politiques qui exploitent l’incrédulité en niant, minimisant ou omettant des faits essentiels, en dénigrant leurs actions et leurs responsabilité. Et nous sommes tous responsables de ce qui est fait au nom de notre pays. Chaque Français représente une partie de la France, si ce n’est à ses propres yeux, du moins aux yeux de ceux qui les regardent arriver chez eux.]

On ne peut pas évacuer cette question et tout ce qu’elle sous-tend.

Nous le devons aux habitants des pays dans lesquels tant de Français ont vécu, quelle que soit l’expérience qu’ils en aient eue sur place. Certaines personnes ont vécu des expériences atroces, d’autres ont assisté à des situations que personne ne doit oublier.

De quelque côté que ce soient trouvées les victimes, leurs paroles doivent s’exprimer, librement. Nos concitoyens de métropole ont une vision totalement biaisée de l’Afrique et de ce qu’il s’y est passé, de ce qu’il s’y passe encore. Les événements, les explosions qui se produisent de temps en temps ne sont que les conséquences d’un système entretenu : désinformation, réseaux, connivences, affaires, manipulations…

Tous les Français qui vivent en Afrique savent parfaitement que ça peut arriver n’importe quand, que ça leur « pend au nez », qu’ils sont comme en sursis et que le raz le bol des populations locales peut exploser à n’importe quel moment. Quand ça arrive, nos médias se gardent bien d’aller au-delà de l’émotionnel et du sensationnel sur les victimes blanches. Comment le pourraient-ils puisque ces médias sont dirigés par ceux-là mêmes qui justement font des affaires dans ce marasme.

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Comme cela s’est produit dans les années 90 en Côte d’Ivoire, il est d’une certaine façon étonnant de constater qu’il y a finalement une certaine « retenue » de la part de ces émeutiers : après tout, ils pourraient considérer les petits blancs comme les responsables directs et décider de se débarrasser — systématiquement — d’eux, pour l’exemple.

Or, ce n’est pas ça qui se produit. Il y a incontestablement des exactions réelles et graves que je ne veux en rien minimiser, avec tabassages, terreur, viols meurtres ou tentatives de meurtres, mais avec finalement peu de morts compte tenu de l’ampleur du phénomène et de la rancoeur que tout un peuple pourrait légitimement ressentir à l’égard des Français !

Ce qui tend à prouver que ces gens en colère sont — globalement — justement, beaucoup plus justes que les médias français qui parlent d’eux : ils savent que ces blancs ne sont pour la plupart que des maillons dans la chaîne de leur misère, et que les vrais responsables sont plus haut et ailleurs, bien à l’abri…

Ils s’en prennent à eux parce qu’ils sont représentatifs, mais lors des émeutes en R.C.I., il y a eu plus de morts dans les quartiers de Treicheville ou de Yopougon que dans les beaux quartiers de Cocody. Et ce n’est pas seulement dû à l’intervention de l’armée française. Les Français qui ont dû quitter la Côte d’Ivoire précipitamment, parfois en laissant tout ce qu’ils avaient derrière eux, sont insignifiants aux yeux des groupes qui ont des intérêts économiques en R.C.I., notamment dans l’ouest du pays.

Les Français qui subissent les exactions des Africains en colère sont, comme ceux qui les attaquent, finalement eux aussi des victimes de la françafrique, et très ironiquement, lorsque ces « évacués » arrivent en France, on s’empresse vite de les oublier, comme si l’on ne voulait pas, dans la mère patrie, s’attarder sur le sujet, comme si d’une certaine façon, on avait honte d’eux, où que l’on ne voulait pas remuer la merde.

Ces victimes-là devraient aujourd’hui elles aussi demander des comptes à leurs employeurs, à leurs élus, aux responsables de leur pays, c’est-à-dire à leurs élus français. Elles devraient s’intéresser à la françafrique, dénoncer ce système et se tourner vers les nantis qui naviguent dans les affaires et dans les hautes sphères de notre pays…

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Croyez-vous que la belle Claire se préoccupe, quand elle présente le journal sur les « événements » en Côte d’Ivoire, des Français qui ont été attaqués aussi parce que les Ivoiriens en ont assez de son patron qui fait des « affaires » en Côte d’Ivoire ? Va-t-elle donner aussi la parole à ceux qui expliquent le ras-le-bol des Ivoiriens ?

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Tant que l’on refusera de se pencher sur nos histoires communes, sur leurs mécanismes, leurs dynamiques et leurs conséquences, nous ne pourrons pas résoudre nos « problèmes ». Où que l’on se trouve dans nos convictions politiques, nous n’arriverons pas à mettre fin à cette inhumanité sans faire d’abord l’effort de mémoire, sans faire le « ménage » chez nous.

Ce n’est pas, comme se plaisent à ricaner des gens médiocres et mesquins, qu’un voeu pieux de « droitdel’hommiste » ; c’est indispensable si nous ne voulons pas que des centaines de millions de gens s’effondrent ou explosent à nos portes. Ceux qui manipulent les esprits en prônant le blindage de nos frontières ont toujours vécu au-dessus et feront toujours partie de la minorité qui tire son épingle du jeu.

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Mon Affrance

« Je ne suis pas raciste, mais j’aime pas les arabes »

Cette phrase est significative du cynisme dont nous sommes capables. Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans la bouche de mes compatriotes, comme si ce n’était là qu’une légère contradiction

Aujourd’hui , il m’est très difficile de répondre à mes amis et aux gens que je rencontre lorsqu’ils parlent (à moi ou à d’autres) de « l’Afrique ».

D’abord parce que l’Afrique est un continent, et les Français ont un peu tendance à tout amalgamer, comme s’il y avait grossièrement des « arabes », des noirs qu’on « a du mal à reconnaître », des blancs au Sud, et puis les « extrémistes ou les émirs musulmans »…

Avant de pouvoir répondre, il faut donc forcément revenir à des éléments de base que tout le monde aurait dus apprendre à l’école.

Beaucoup de Français veulent encore croire aujourd’hui que lors de sa colonisation, l’Afrique subsaharienne n’était qu’un vaste territoire vierge où végétaient quelques grappes éparses de villageois survivant de manière archaïque entre les épidémies et la famine. À leur décharge, c’est vrais aussi que les livres d’histoire de la France passent sous silence toutes les sociétés, les empires africains antérieurs ou parallèles à la colonisation blanche alors même qu’ils ont tout lieu d’y figurer, au même titre que les empires de Grèce, de Carthage ou de Mésopotamie…

Mes proches me demandent souvent si « l’Afrique » ne me manque pas, si je n’ai pas envie d’y retourner…

Bien sûr, mais retourner où et pour y faire quoi ?

Comme si c’était légitimement une évidence en soi de pouvoir retourner vivre en Afrique quand on est un blanc qui y a vécu ou qui y est né…

Tant que l’on expulsera de France des Africains comme des chiens tout en les empêchant de prendre en main leurs propres pays, je ne vois pas ce que moi je pourrais bien légitimement y faire.

Pourquoi tant de hargne ?

J’ai véritablement perdu mon innocence vers l’âge de dix ans.

C’est vers cet âge-là que la posture des « adultes », qui pour la plupart des enfants sont normalement des références, s’est totalement effondrée. J’ai perdu la confiance de l’enfance. Je n’ai pas été « abusé », ou subi de violences physiques, mais l’incohérence morale, en particulier par les situations absurdes et inhumaines de la françafrique, et son cortège de pressions sociales, ont fait exploser la « figure des pères ».

Les adultes qui m’entouraient, vivant dans le mensonge et les faux-semblants, ont définitivement perdu toute forme de « respectabilité » a priori, au profit d’une véritable analyse, à fleur de peau c’est-à-dire avec une sensibilité affective et morale exacerbée, de leurs paroles au regard de leurs actes. Et leur chute fut vertigineuse.

Quelle confiance et quelles valeurs croyaient-ils donc faire passer quand les évidences et les conséquences de discours pervers s’amoncellent autour de soi ?

Je n’ai plus accepté les bassesses mesquines, les renoncements et les ignorances volontaires qui, des actes individuels, dans la cellule familiale, auprès des amis, jusqu’aux choix « politiques », impliquent qu’il y ait des « perdants » pour qu’il y ait des « gagnants ». Je n’ai plus accepté les « c’est comme ça », les « il ne faut pas rêver » et « on ne va pas refaire le monde » qui sont autant de renoncements faciles venant de la part de ceux qui profitent et de ceux qui les servent.

La France « à papa »

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Depuis, je conchie les esprits petits et mesquins, les « bien pensants » aux « idées saines » qui voient en leurs « victoires » leur force morale et la supériorité de leurs raisonnements dans un monde où ces victoires se font au mépris même des règles morales qu’ils se plaisent à afficher et à dispenser sur un ton paternaliste, justifié avec des discours fallacieux, sur le lit de la misère et de la mort des multitudes, sur la destruction de l’environnement, toutes dévastations qui pourtant emporteront tout, même leur propre descendance.

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Kapos serviles, ils frappent toujours plus fort pour éviter d’être frappés eux-mêmes, espérant monter toujours plus haut et parader dans l’illusion du pouvoir. Ils ne font en fait que chercher à fuir, par une accumulation effrénée de petites jouissances amères et de spasmes qu’ils se forcent à croire être des orgasmes, ce qui est pourtant inéluctable pour chaque être vivant : la mort et la décomposition.

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Au moment où celle-ci viendra, leur supériorité et leurs belles victoires ne leurs seront d’aucun secours, aucun des biens qu’ils auront acquis ne les soulagera et ils n’emporteront rien que leurs peurs, leurs souffrances et leurs angoisses, comme tous les enfants qu’ils auront accepté de voir mourir sous leurs yeux pour que « triomphe » le temps d’un futile instant, leurs misérables logorrhées de justification…

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